
« Le meilleur de notre technologie au bénéfice de l’humain »

Avec Jean-Claude Olivier, Eric de Seynes est un des personnages les plus marquants de l’histoire de Yamaha Motor Europe. Aujourd’hui président du conseil de surveillance de la structure continentale, Eric de Seynes apporte une vision précise de l’histoire de la marque japonaise. Il nous a accordé un long entretien, que voici en intégralité.
Sébastien Soulie : « Comment définiriez-vous l’ADN de la marque Yamaha ? »
Eric de Seynes : « Les valeurs fondamentales de Yamaha sont tournées vers l’humanité, la sensibilité des émotions et la qualité de fabrication. Comment pourrait-il en être autrement quand on sait que notre compagnie a été créée pour être le premier facteur d’orgue japonais, puis très vite concepteur et fabricant d’instruments de musique à cordes et à vent. Un bon instrument de musique doit répondre à la sensibilité de l’oreille de chacun et permettre une expression artistique sensible et juste. Lorsque Yamaha Motor a été lancée en 1955, ces valeurs de l’entreprise étaient bien installées et c’est la raison pour laquelle Yamaha produit depuis 70 ans des véhicules faits pour apporter des émotions, des sensations, une forme d’épanouissement à celui, ou celle, qui les pilote. Le meilleur de notre technologie doit toujours être au bénéfice de l’humain ».
Séb. S. : « Quelles sont vos fonctions désormais au sein de la firme japonaise et votre influence sur les directions prises actuellement ? »
EDS : « Après avoir rejoint l’entreprise il y a tout juste 35 ans, j’ai eu la chance d’exercer de nombreuses responsabilités opérationnelles au sein du groupe avant d’être, aujourd’hui, président du conseil de surveillance de Yamaha Motor Europe NV. Cela revient à rester au contact du nouveau CEO, Olivier Prevost et des directeurs qui siègent au Conseil de direction, pour les soutenir dans leurs décisions et répondre à leurs interrogations, quand ils en ont. Evidemment, mon rôle est aussi d’exprimer ce que je ressens du marché, vois de la part des concurrents et comprends des enjeux d’avenir, en ayant un regard plus large et mature que lorsqu’on est la tête dans le guidon. Jusqu’en mai dernier, j’étais aussi président de l’IMMA (International Motorcycles Manufacturer Association), ce qui me permettait de nourrir une compréhension globale de l’attente des marchés à travers le monde ».
Séb. S. : « Si c’était à refaire, à la tête de Yamaha France, Europe, Japon…, y a-t-il quelque chose que vous changeriez ? »
EDS : « Evidemment, car on ne peut jamais être totalement satisfait de tout ce que l’on a entrepris et accompli ! Mener une entreprise aussi large et complexe est toujours une affaire de compromis. Pour toute décision, il y a toujours des évidences techniques, financières ou organisationnelles qui s’opposent et il s’agit de prendre la meilleure, ou moins mauvaise, décision dans le respect des enjeux présents et d’avenir. L’autre évidence, c’est que l’expérience vous rend meilleur, plus mature, plus expérimenté, plus connecté avec vos clients comme avec les institutions. Il y a donc une forme d’incohérence à laisser sa place au moment où vous êtes censé être le plus compétent. Mais c’est ainsi, et je n’en ai aucune frustration. Pour revenir à votre question, je n’ai aucun regret en particulier. J’ai fait confiance à des hommes et des femmes qui ne m’ont jamais déçu. Ensemble, nous avons développé un esprit collectif, et un certain enthousiasme en Europe qui a porté notre performance pendant toutes ces dernières années en partage avec nos réseaux de concessionnaires. Et cela, j’en suis plutôt satisfait et très heureux ».

Séb. S. : « Quelle est votre plus belle réussite à la tête de Yamaha ? »
EDS : « Il est impossible de ressortir une réussite unique sur un parcours de trente-cinq ans au service d’une marque. J’en citerai donc plusieurs :
- Avoir relancé une dynamique réseau tournée vers le mono-marquisme et développé, en soutien de Jean-Claude Olivier, une vision pour la marque en France, reposant sur : la proximité terrain, la dynamique des produits et des services et la compétition. Cette stratégie nous a permis de reconquérir le leadership du marché en 1996 et de le conserver pendant plus d’un quart de siècle, ce qui n’est pas rien…
- Avoir directement contribué au développement de modèles qui sont devenus des références pour le marché européen. Ces nouveautés ont remporté des succès commerciaux incontestables et forgé, dans la durée, l’identité de la marque en Europe. J’en citerai quatre : les YZF-R1 de 1998 et 2015, la XTZ700 Ténéré de 2019, la gamme des MT07-MT09-MT10 et leurs déclinaisons Tracer 7 et Tracer 9.
- Avoir installé une réelle direction managériale européenne pour Yamaha Motor Europe, en gagnant la confiance du comité de direction au Japon, et avoir ouvert la possibilité, pour un dirigeant non japonais, de pouvoir être nommé Executive Officer de Yamaha Motor Corporation.
- Avoir défini une stratégie marketing forte pour la marque en Europe, totalement tournée vers le client et mettant au cœur de son application nos réseaux de concessionnaires. J’ai toujours veillé à ce que nous investissions sur nos réseaux et que nos concessionnaires soient totalement associés à nos plans stratégiques de moyen terme. En dix ans, cette stratégie nous a permis de doubler notre chiffre d’affaires européens et de renouer, de façon tout à fait résiliente, avec les meilleurs ratios de rentabilité du groupe.
- Avoir protégé, redonné du sens et apporté un avenir à notre implantation industrielle en Europe qui regroupe Yamaha Motor Research and Engineering Europe à côté de Milan, et Yamaha Motor Manufacturing Europe à Saint Quentin, en France.
- Enfin, avoir redéfini et renforcé la pyramide complète de notre stratégie en compétition moto, entre 2014 et 2018. L’ambition de ces programmes nous a permis nous de nous battre sur tous les terrains : Superbike, Supersport, Endurance, Championnat du monde féminin, Coupe du monde R3 pour les jeunes, Rallyes tout-terrain, Motocross, etc.. Avec de nombreux titres mondiaux remportés, une communauté de passionnés renouvelée et de merveilleuses aventures humaines partagées ».
Séb. S. : Y a-t-il un projet qui vous tenait à cœur et qu’il n’a pas été possible de mener à bien au fil de votre carrière ?
EDS : « Quand on est à ce niveau de responsabilité, on est en permanence soucieux de construire, de consolider et de porter une ambition pour l’avenir de la marque. Et cela repose sur une vision, des objectifs et des projets. Donc le plus important est toujours le prochain projet, celui qui vous permettra de faire la différence avec vos concurrents et de consolider un avantage compétitif majeur. Au-delà de ce principe, je regrette de ne pas avoir été plus persuasif sur certains projets de nouveaux modèles qui étaient attendus par nos marchés, et le sont toujours pour certains. Sans citer certains modèles précis, j’ai parfois dû attendre plus de 10 ans avant d’obtenir satisfaction et pour certains modèles, nous en sommes encore à subir des reports successifs. Cela reste pour moi extrêmement douloureux ».
Séb. S. : « Quels sont selon vous les événements les plus marquants de l’histoire de Yamaha, les jalons qui ont fait d’elle ce qu’elle est aujourd’hui ?
EDS : « D’une façon générale, Yamaha Motor a eu une histoire heureuse jusqu’à nos jours. Evidemment, il y a eu des moments difficiles, mais la route parcourue est belle et elle demeure prometteuse.. Les principaux jalons sont évidemment liés aux produits, car se sont bien eux qui portent l’ambition, la désirabilité, l’attractivité et le succès de la marque à travers le monde.
Tout commence par le commencement, et le premier jalon est bien celui de la création de l’entreprise et le lancement de l’YA1 125, le 4 juillet 1955. Le deuxième jalon se produit une semaine plus tard, le 10 juillet 1955 avec la première victoire en course d’une moto Yamaha, lors de la course du Mont Fuji. Comme troisième jalon, je citerai le premier titre de Champion du monde 250cc de Phil Read en 1964, qui va encourager et soutenir une gamme de motos sportives (bicylindres 2 temps de 125cc, 250cc et 350cc) qui vont installer la réputation sportive de Yamaha de la 250 YDS3 de 1965 aux RDLC des années 80, en passant par les TZ qui vont faire courir des générations de pilotes en GP. En 1968, un nouveau jalon est l’apparition de la 250 DT1. Premier trail de l’ère moderne qui va ouvrir une lignée de motos à succès : AT1, AT2, DTF, DTMX… synonymes de liberté et de rupture avec les motos routières traditionnelles. Là encore, Yamaha se place en leader de ce nouveau courant.
Trois ans plus tard, c’est à la XS650 de faire son apparition en Europe. C’est un nouveau jalon pour Yamaha qui s’attaque au marché des motos routières, sur la base d’une technologie éprouvée (bicylindre vertical 4T) en y ajoutant la fiabilité. Là encore, une lignée va suivre avec un trois cylindres XS750, et un premier quatre cylindres XS1100. Puis viendront à la suite les légendaires FJ et FJR1100/1200/1300. Il faut attendre cinq ans, et l’année 1976 pour planter un nouveau jalon : la XT500. Cette machine arrive au bon moment pour soutenir une vague, une déferlante que sont les rallyes « africains ». La XT deviendra la référence de ces rallyes aventuriers et les victoires seront nombreuses. La légende XT est en marche et ouvrira la lignée des Ténéré et Super Ténéré. Après l’esprit de liberté du trail, Yamaha ajoute l’esprit du voyage et de l’aventure, et nombreux seront les tours du monde réalisés par de nombreux anonymes au guidon d’une XT ou XTZ.. »
Séb. S. : « Yamaha a également marqué l’histoire de son empreinte avec des machines sportives… »
EDS : « Le jalon suivant va être celui du Supersport. L’arrivée de la FZ750 en 1985 va installer la marque dans cet univers où elle n’était pas encore. La FZ porte trois innovations : le cadre périmétrique Genesis, la culasse à 5 soupapes par cylindre et l’admission verticale qui était une première forme d’« air intake ». La moto sera un succès et, une fois de plus, elle permettra d’ouvrir une lignée prestigieuse que seront la FZR.R, l’0W01 et les FZR Exup. Dans cette même période, Yamaha ose et innove radicalement. Deux exemples sont marquants et vont représenter des jalons forts de l’audace de la marque : la Vmax et le BW’s. Une moto V4 de 1200cc et un scooter 50cc… Aucun rapport, et pourtant les deux sortent complétement de l’ordre établi, provoquent le marché avec des nouvelles expressions de design et d’usage. Pour des raisons différentes, les deux vont devenir des marqueurs historiques et culturels de Yamaha. Au-delà du volume, Yamaha surprend et ouvre de nouvelles voies. Au début des années 1990, Yamaha marque à nouveau le marché avec l’introduction de la gamme Diversion. Ce sont des motos simples, suffisamment performantes pour toucher un public très large, faciles à piloter et surtout très accessibles en prix. Les Diversion neuves viennent directement concurrencer le marché de l’occasion et ce sera un succès formidable. La popularité des Diversion vient conforter définitivement Yamaha comme un acteur principal du marché des motos routières en Europe. Toujours en recherche de nouveaux concepts, et après avoir tenté la GTS 1000 et son cadre oméga, Yamaha remporte à nouveau un succès avec la TDM 850 en 1991. Par son couple, sa facilité et sa polyvalence, la TDM affirme sa personnalité et conquiert une clientèle routière à la recherche d’une moto facile et maniable en ville, mais aussi capable de se transformer en pure routière le week-end. Ce sera un succès qui va petit à petit installer une gamme qui s’appelle Tracer aujourd’hui. Le jalon d’après s’appelle R1. Nous sommes en 1998 et cette moto va faire l’effet d’une bombe dans la catégorie Supersport. Radicale, racée comme une moto de GP, un rapport poids puissance jamais atteint, elle devient une icône et remporte un succès commercial mondial. Là encore, une lignée se met en place en deux ans : R6, R1 et R7. 35 ans plus tard ces trois machines sont toujours reconnues pour le niveau de leurs performances et leur aboutissement. Trois ans plus tard, un nouveau jalon s’affirme…le TMAX ! Ce scooter-moto ou cette moto-scooter révolutionne totalement le marché et s’impose comme la référence absolue d’un nouvel usage, d’un nouveau segment. Suffisamment puissant pour « cruiser » sur l’autoroute, bénéficiant d’un châssis alu extrêmement rigide et d’un poids très contenu, le Tmax est le roi des villes, des autoroutes et des petites routes. Il s’illustre même sur le Moto Tour aux mains expertes de Dominique Sarron, Gilles Husson, Jacques Onda ou Philippe Monneret ! Il sait tout faire, il est beau, il est universel. 24 ans plus tard, du haut de ses 560cc, il reste le modèle étalon de la catégorie. Dans la lignée de son succès, le Tmax a su aussi ouvrir une lignée à grands volumes, celle des XMax 125, 250, 300, 400. Le concept « Max » a su ainsi s’imposer en Europe, à tel point que les concurrents n’ont pas eu d’autre choix que de le copier sans état d’âme. Il faut attendre une bonne dizaine d’années pour voir un nouveau jalon fort marquer l’histoire de la marque. Il s’agit du lancement de la gamme MT entre 2013 et 2015 : MT07 bicylindre 690cc, MT09 trois-cylindres 850cc et MT10 quatre cylindres 1000cc. Ces motos compactes et joueuses, aux caractères moteurs affirmés et bourrés de couple, légères et rigoureuses, vont renouveler l’offre des « roadsters » et relancer totalement la dynamique de la marque. Les MT vont conquérir le cœur des journalistes, comme des clients ».
Séb. S. : « Depuis 1955, la compétition est un élément essentiel de la renommée de la marque Yamaha… »
EDS : « Effectivement ! Sur le plan sportif, quelques jalons sont incontournables avec le premier titre mondial en vitesse 250 de Phil Read en 1964, le premier titre mondial en GP Motocross 250 avec Hakan Andersson en 1973 qui vint en appui des trois titres mondiaux de Mike Andrews en Trial (1971-1972-1973), le premier titre GP500 d’Agostini en 1975, la grande période des succès en GP750 et aux 200 Miles de Daytona entre 1973 (Saarinen) et 1980 (Patrick Pons), la période faste des GP500 avec 10 titres remportés entre 1975 et 1992, la domination des rallyes africains avec les XT et Ténéré (1977-1985) puis avec les bicylindres XTZ850 (1991-1998), la domination des GP MX 450 avec 5 titres remportés en 6 saisons entre 2004 et 2009, la belle période Rossi-Lorenzo en MotoGP avec 4 titres pilotes et 5 titres constructeurs entre 2004 et 2010, la belle constance des résultats de la R1 en Championnat du monde d’endurance depuis 2004, principalement en alternance avec le SERT, avec 5 titres de champion du monde et 8 titres de vice-champion du monde et surtout l’accompagnement de milliers de jeunes pilotes à travers les âges grâce aux formules de promotion de la marque qui ont toujours nourri la pyramide du sport. De la coupe RDLC au championnat de France R7, en passant par les coupes YZ, TZR, XJR, TRX, TZ, YZF125, R3, Blu Cru YZ…Yamaha a toujours souhaité faciliter l’accès à la compétition pour le plus grand nombre. Enfin, sur le plan de l’organisation et de la distribution, nous pouvons retenir la mise en place de l’importation de Yamaha en France par Levallois-Moto en 1963, avant d’être transférée à Yamaha-Sonauto en 1965, sous la houlette de Jean-Claude Olivier. Grâce au succès commercial de la DTMX125 et de la XT500, le réseau de distribution devient progressivement exclusif pour la marque dès les années 1976. En 1986, Yamaha Motor Europe prend le contrôle de MBK et investit sur un outil de production destiné au marché européen. En 1992, la distribution passe sous le contrôle d’une filiale intégrée au groupe Yamaha Motor, c’est la naissance de Yamaha Motor France. En 2000, un centre de Recherche et Développement est mis en place en Italie (YMRE) pour accélérer la puissance et la rapidité de développement produits de Yamaha en faveur du marché européen. En 2014, en réponse au choc de la crise financière de 2009, une organisation opérationnelle unique se structure au niveau européen et une dynamique commerciale européenne se met en place avec l’appui des filiales nationales. Enfin, en 2024 l’usine MBK Industrie devient Yamaha Motor Manufacturing Europe et s’intègre pleinement dans le plan stratégique mondial de Yamaha ».

Séb. S. : « Quels sont selon vous les 10 modèles (motos) les plus emblématiques de la firme Yamaha ? Ses innovations majeures ? »
EDS : « Il y a l’YA1 125 par laquelle tout a commencé, puis la DT1 qui a ouvert le marché mondial du trail sportif, l’YR5 qui représentait le top en matière de moto sportive 2-temps 350 en 1971, et dont les TD2/TR2 de GP étaient directement dérivées. Ensuite la DTMX125, avec sa suspension cantilever, qui a permis à Yamaha de devenir un leader potentiel du marché en France. La XT500 qui a permis de nourrir une riche lignée de motos aventureuses, jusqu’à la Ténéré d’aujourd’hui, et qui a permis à des dizaines de milliers de clients de vivre pleinement la liberté et l’aventure, que seule la moto permet de vivre avec autant d’intensité. Comme on parle d’innovation, je citerai la FZ750 avec son concept Genesis et sa culasse à 5 soupapes par cylindre, puis la Vmax par son concept unique et spectaculaire en 1986, suivie de la FZR1000 Exup. Cette valve à l’échappement a été reprise ensuite par Ferrari en F1 et précédemment adaptée aux moteurs deux temps avec l’YPVS, et notamment sur l’iconique RDLC350. Toujours sur le plan de l’innovation châssis, je ne peux que célébrer la GTS1000 avec son bras avant unique couplé à son cadre Oméga qui lui conférait une tenue de route irréprochable à haute vitesse, et plus récemment la Niken qui est à la moto, ce que le ski carving a été au ski. Une révolution qui a malheureusement été difficile à assumer pour beaucoup de motards. Dans ce panthéon des modèles Yamaha, il y a évidemment une place pour la FJ/FJR qui était la moto GT sportive la plus aboutie et la première japonaise à proposer l’ABS, la YZFR1 qui a révolutionné le segment supersport en assumant de mettre de maximum de technologie de l’YZR500 dans une moto de route (équilibre avant/arrière, géométrie, recherche du poids minimum..), le Majesty 250 qui a ouvert la voie du Tmax et créé un segment de marché à lui tout seul et enfin la MT09 qui a été la parfaite tête de pont d’une nouvelle philosophie de roadsters puissants, légers, enthousiasmants à piloter et bourrés de caractère. Des motos plaisir à 100%, parfaitement conçues dans le respect de l’ADN de la marque ».
Séb. S. : « Quels sont les pilotes les plus légendaires de la marque ? »
EDS : « C’est une question difficile tellement ils sont nombreux. En effet, Yamaha est une marque fidèle et qui a souvent partagé de longues histoires avec ses pilotes. Comme on ne peut tous les citer, je m’arrêterai sur les noms suivants… En vitesse : Phil Read, Bill Ivy, Jarno Saarinen, Kent Andersson, Giacomo Agostini, Patrick Pons, Johnny Cecotto, Steve Baker, Carlos Lavado, Christian Sarron, Kenny Roberts, Eddy Lawson, Wayne Rainey, Noriyuki Haga, Valentino Rossi, Fabio Quartararo. En tout-terrain, il y a Häkan Andersson, Mike Andrews, Heikki Mikkola, Bob Hannah, Häkan Carlqvist, Broc Glover, Cyril Neveu, Jean-Claude Olivier, Jacky Vimond, Stefan Everts, David Philippaerts, Damon Bradshaw, Yves Demaria, Stehane Peterhansel, Jeremy Mc Grath, Chad Reed, Romain Febvre, Cooper Web, Maxime Renaux, Kiara Fontanesi. Evidemment, ils sont de nombreux autres à avoir obtenu des titres mondiaux et contribué à construire la légende de Yamaha en compétition, mais ceux que je cite ont été plus que des pilotes, ils étaient naturellement des ambassadeurs de la marque ».
Séb. S. : « Vous êtes également un grand collectionneur de motos. D’où vient cette passion ? »
EDS : « En fait ma passion n’est pas celle de collectionner. Ma passion est celle de la moto et de ses valeurs qui doivent être, pour moi, respectées et transmises. Mon attachement à la moto est extrêmement intime et émotionnel, et c’est la raison pour laquelle j’ai toujours protégé tout ce qui était en lien avec ma passion. De cette façon, j’ai toujours conservé les livres qui m’ont permis d’apprendre mes premiers rudiments de mécanique, mes jouets d’enfant, mon premier T-shirt de la concentration des Chamois en taille 8 ans, mes dédicaces, etc.. Collectionner, cela correspond déjà à ne pas jeter, à savoir conserver et à partager. C’est ainsi que j’ai commencé dès mon plus jeune âge. Ensuite, j’ai eu la sagesse de ne pas vendre certaines de mes motos (notamment ma machine du Dakar) et à acquérir des motos avec lesquelles j’étais affectivement attaché. Ainsi, je me suis acheté ma première TZ350 avec mon premier bonus de Yamaha en 19990, puis j’ai pu acquérir la XJR du Star Show (GP de France) 1994 de Carlos Lavado, suivie de la R6 de Eric Mahé lorsqu’il a été champion de France Supersport en 1999. A cette époque, les motos du team étaient vendues en fin de saison et proposées à nos concessionnaires. Si, au bout d’un mois la moto n’était pas vendue, je proposais de l’acheter aux mêmes conditions. C’est comme cela que j’ai commencé, au début des années 90 ».
Séb. S. : « De combien de modèles se compose votre collection ? »
EDS : « Le chiffre total est en constante évolution, mais disons qu’il est proche de 300 motos, dont 250 de compétition. Elles sont toutes liées à un souvenir particulier, à une expérience, à une relation forte que j’ai eu la chance d’avoir avec le pilote, le concepteur, le team manager. Ainsi, ces motos sont porteuses d’une histoire à laquelle je tiens et qui a une vraie valeur à mes yeux. Ma mission est de protéger ces motos, qui sont des témoignages directs de ces expériences que je pense exemplaires. C’est dans ce même esprit que j’ai écrit mon premier livre, « Légendaires », qui met en valeur quarante personnalités de la moto qui ont contribué à son rayonnement et avec lesquels j’ai eu la chance d’avoir une réelle proximité. Grâce à mon parcours de vie, qui a été très large au sein de l’univers de la moto, mes motos couvrent les territoires de la vitesse, des GP, du Superbike, de l’Endurance, du Motocross, de l’Enduro, du Dakar, du Trial et même du Speedway.. Mais, compte tenu du nombre, j’assume que cette collection de motos me dépasse totalement et ne correspond pas du tout à la satisfaction d’un plaisir égoïste. Ma motivation est ailleurs, celle de protéger et transmettre. C’est la raison pour laquelle, je prête mes motos en permanence à des organisateurs afin qu’elles soient vues par le public. Par exemple, j’en ai sorti près de 100 différentes cette année qui étaient exposées au Touquet, au Salon de Lyon, au GP de France, au salon de Marseille, au GP MotoGP d’Assen, etc.. Depuis un an, je travaille aussi à la création d’un lieu de mémoire et de transmission qui permettrait d’exposer mes motos, et celles d’autres collectionneurs qui le souhaiteraient, afin que le public puisse en profiter. Par rapport à ce qui existe déjà, l’originalité viendra du fait que toutes les motos exposées seront en parfait état de fonctionnement et seront présentées, pour une sélection d’entre elles, en démonstration, un weekend par mois sur une piste dédiée. Par ailleurs, je souhaite que le musée soit associé à une école de formation pour des mécaniciens et ingénieurs qui se destinent au monde de la compétition et qui pourraient être formés sur ces motos exemplaires et représentatives des meilleures technologies du passé et d’aujourd’hui. Mais il sera temps de parler de ce projet quand tous les ingrédients seront bien mis en place ».
Séb. S. « Quels sont vos modèles les plus chers à votre cœur ? »
EDS : « C’est évidemment une question impossible à répondre ! Je peux tout de même dire que celles qui me sont le plus chères sont liées aux hommes qu’elles illustrent.. L’YZ634 250 1972 de Jarno Saarinen, l’0W23 500 1975 de Giacomo Agostini, la TZ750 1979 de Patrick Pons, l’YZR500 1989 de Christian Sarron, la Chevallier 500 1985 de Didier de Radiguès, la H1R 1971 de Christian Ravel, la H2 1972 monocoque d’Eric Offenstadt, l’YZE750 du Dakar 1986 de Jean-Claude Olivier, l’XTZ 850 0WC5 1991 de Stephane Peterhansel, l’YZF750 1994 victorieuse du Bol d’or avec les frères Sarron et Nagaï, l’YZFR1 du GMT94 2014, l’YZF450 Factory 2015 de Romain Febvre 2015, l’YZF250 Factory 2021 de Maxime Renaux, la YZF-R1 WSBK 2021 de Toprak Razgathoglu et la Laverda 750SF de mon père ! »
Séb. S. « Quelle est aujourd’hui la moto chez Yamaha qui vous donne le plus de plaisir ? »
EDS : « J’aime particulièrement la MT10 dont j’apprécie l’équilibre général, le caractère du moteur crossplane et la capacité à s’adapter à n’importe quel rythme de conduite. C’est une moto qui procure un plaisir absolu ».
Séb. S. « Quelle est selon vous la moto idéale de la gamme Yamaha ? »
EDS : « Nous avons deux motos qui permettent quasiment de tout faire.. La Tracer 900 qui révèle une polyvalence, un confort d’utilisation et un plaisir d’usage quotidien grâce à son moteur génial. A chaque fois que je roule à son guidon, je suis épaté.
La deuxième reste la Ténéré 700. Ce n’est pas la plus puissante ni la plus exubérante, mais c’est celle qui promet le plus en termes de liberté. On peut tout faire à son guidon, et j’aime la façon dont cette moto est une promesse permanente au voyage. Elle peut vous emmener au bout du monde, en totale liberté. C’est vous qui vous fixez les limites, pas elle. Tout est possible à son guidon, le monde est à portée immédiate, il suffit de vouloir partir. Avoir un tel potentiel dans son garage est une richesse infinie ».
Séb. S. « Celle du passé avec laquelle vous avez le plus d’émotions ? »
EDS : « Si j’exclue les motos de compétition, il y en a trois… La RDLC350 pour sa rage de vivre et l’expression unique de son moteur 2 temps, la XT500 pour sa rusticité, sa légèreté et son gromono au caractère brut. Et enfin, la BMW R69S de mon père, sur laquelle j’ai eu mes premières émotions motardes, assis sur le réservoir du haut de mes trois ans ».
Séb. S. « Quelle est la moto de la concurrence qui vous a toujours fait rêver ? »
EDS : « J’ai toujours été impressionné par le caractère et la rage des 3 cylindres Kawasaki (S1/S2/S3/KH/H2) et par la pureté intemporelle du design de la Ducati 916 ».
Séb. S. « Pour vous, la moto est une grande passion familiale. Au fil de vos rencontres, de vos échanges, pensez-vous que la passion pour la moto demeure toujours aussi forte en France ? »
EDS : « Je suis convaincu que la passion se nourrit du partage. S’il n’y a pas une communauté qui vibre pour les mêmes émotions, la passion ne peut se développer. Une passion commune est extrêmement vertueuse car elle unit les gens entre eux, elle encourage une expérience collective et créée du lien. Or nous sommes dans une période où nous avons tous besoin de ce lien sincère, sans barrière de milieu social, de critère financier ou d’éducation. Pour toutes ces raisons, je suis convaincu que la passion de la moto est extrêmement positive pour la société et toujours aussi forte. Du côté du sport, l’engouement du public pour le MotoGP est incroyable et la retransmission TV des principaux championnats est une réalité qui soutient la notoriété des champions et l’adhésion du public. Ce que je crois aussi très favorable est le succès des évènements qui soutiennent la culture de la moto et nous avons la chance d’avoir en France de très bons ambassadeurs et créateurs de passion comme : Jack Monchanin et le Salon de Lyon, Jean-Pierre Bonato avec la Sunday Ride Classic et l’Alpes Aventures Motofestival, Nicolas Sonina et son évènement Classic Machines ou encore les Coupes Moto Légendes. A delà de ces évènements nationaux de nombreuses organisations locales démontrent la bonne santé de notre passion de la moto, de nombreux salons de motos classiques ou de la compétition comme Cany, Nice ou Chevilly, des courses de côte en démonstration comme Orbec, des bourses, des concentrations, etc.. Alors, même si la façon de vivre sa passion moto n’est pas la même que dans les années 70, avec moins de concentrations et plus de réseaux sociaux, la vivacité de cette passion et ses valeurs sont globalement restées intactes et toujours aussi sincères ».
Séb. S. « Quel regard portez-vous sur l’univers actuel de la moto ? Correspond-il toujours à vos valeurs, à vos attentes, à votre sensibilité de motard ? »
EDS : Oui, j’aime notre milieu moto et j’adhère toujours autant à ses valeurs, même si je regrette tout de même qu’on ne se salue plus autant qu’avant sur la route ou qu’en tout cas, on a vu s’installer une forme de sélectivité dans la reconnaissance. Quand j’ai débuté, au guidon de ma 100cc, j’étais heureux d’être reconnu et de faire partie de la communauté. Aujourd’hui un jeune qui roule en 125cc a peu de chance d’être salué… à part s’il me croise au moins ! Malgré tout, et malgré les années qui s’empilent, j’ai toujours la même fraicheur, le même enthousiasme et le même plaisir à partager. A chaque fois que quelqu’un m’interpelle sur le terrain, j’essaie de me rendre disponible et de discuter. Et à chaque rencontre, j’en ressors heureux de ce que nous avons pu partager. Proximité, simplicité, sincérité, passion sont des qualificatifs très nobles et qu’il nous faut tous ensemble, collectivement, protéger. Le seul bémol que j’évoquerai repose sur la dérive que l’on observe parfois dans les commentaires du MotoGP sur les réseaux sociaux. Cela commence souvent par certains sites qui se disent spécialisés et qui entretiennent leurs audiences par un sensationnalisme que je considère de bas étage. Accroches racoleuses, propos détournés de leurs contextes, annonces dénuées de tout fondement. Quand on connait la face intime et professionnelle du MotoGP, on est atterré par tant de superficialité. Notre sport mérite mieux que ces commentaires assassins, provocateurs et clivants ».
Séb. S. « Quel est selon vous l’avenir de la moto ? L’électrique, le vintage, le fun… »
EDS : « L’avenir de la moto ne dépend pas d’une technologie mais de la valeur de son sens fondamental, la liberté. Il n’y a pas de moyen plus efficace et plus accessible d’accéder au sentiment profond de liberté que la moto. A moto, vous vivez, vous vous déplacez en harmonie avec l’espace naturel qui vous entoure, vous assumez une certaine prise de risque qui vous identifie, qui vous fait exister dans votre statut d’homme, ou de femme, libre et indépendant(e). C’est un sentiment très fort qui a toute sa légitimité quand on se projette dans l’avenir. En poussant le raisonnement, tant qu’il y aura des motards, nos démocraties seront bien vivantes. En se projetant au niveau de la pratique, je crois à une circulation urbaine intelligente et à une pratique du loisir tout-terrain, à la fois silencieuses et électriques.. Les motos routières et sportives vont s’adapter à de nouveaux carburants (éthanol 85 ou synthétiques) et devront continuer d’exprimer des identités fortes : sportive, vintage, tourisme, aventure, etc.. Le design et les fonctionnalités pratiques seront essentielles, mais l’émotion devra rester la priorité. On vit d’émotions et pas de technologies ».
Séb. S. « Quelle est la place pour les modèles taillés pour la vitesse et la performance, compte tenu des politiques et des règlementations actuelles ? »
EDS : « Nous avons toujours besoin de nous dépasser et de rechercher la meilleure performance possible, au-delà de ce que les technologies actuelles peuvent délivrer. C’est pour cela que la compétition existe et qu’elle sera toujours nécessaire au progrès. La vitesse reste toujours le marqueur d’une avancée technologique, synonyme de progrès. C’est la raison pour laquelle je ne vois pas ces modèles, tournés vers la vitesse et la performance, disparaitre. Par contre, et c’est déjà le cas, leur usage va de plus en plus se limiter aux circuits, à travers des journées de roulage, de track-days ou d’évènements amateurs et conviviaux. La forte augmentation des licences « entrainements » au sein des fédérations nationales en est une illustration évidente ».
Séb. S. « Quel regard portez-vous aujourd’hui sur la compétition chez Yamaha ? »
EDS : « Je pense que Yamaha peut être fier de sa politique générale dans le domaine de la compétition et notamment en termes de contribution au sport moto. En effet, nous sommes le seul constructeur à concourir au plus haut niveau du MotoGP, de l’Endurance, du SBK, du Motocrosss et même du rallye avec notre programme Ténéré Spirit, tout en soutenant autant l’accès au sport pour tous. Nous avons bâti une pyramide de la compétition qui intègre totalement les jeunes, les championnats nationaux, et permet un accès au plus haut niveau dans des conditions financières raisonnables. Comme je l’ai indiqué plus tôt, la compétition fait partie de l’ADN de la marque et nous ne nous contentons pas de tout faire pour gagner au niveau de l’élite, nous considérons et voulons associer à nos efforts tous nos clients compétiteurs. Tout comme être leader d’un marché impose à la marque de soutenir le marché dans son ensemble, courir pour gagner en GP impose une certaine forme de responsabilité de marque et d’engagement à soutenir la base de la compétition pour assurer le renouveau du futur et ne pas considérer que ce qui fait de l’audience TV. C’est bien ma philosophie et c’est la raison pour laquelle nous avons mis en place le programme « Blu crU » qui permet de faire rouler plus de 700 jeunes pilotes en Europe, tant en motocross qu’en vitesse, et d’assurer aux meilleurs une progression au niveau supérieur. En France nous soutenons les jeunes en MX, le championnat R7 en FSBK, qui enchaine avec la Coupe du monde R3, ou le championnat du monde féminin avec les R7, ou les jeux intercontinentaux avec la R7. En complément, nous essayons d’apporter un soutien, à travers des conditions particulières et des bonus aux teams privés en Endurance, comme auprès des pilotes nationaux en MX ou sur le championnat sable. J’ai moi-même été pilote amateur en vitesse, comme sur le Dakar, et je sais combien chaque signe de reconnaissance et de soutien est précieux quand on met toute son énergie et ses économies dans la course. Ensuite, si on se concentre sur notre présence en Championnats du monde, on peut constater que nous avons une grande fidélité de la part de nos teams partenaires (Crescent, GRT, Ten Kate, GMT94, Evan Bros, YART, KM99, Team18, Motobox Kremer, MotoAin, 3Art Best of Bike, TMC35, etc..) comme de nos sponsors (Monster Energy, Pata..) car ils partagent notre philosophie et la qualité des résultats les satisfait. Cette saison, nous dominons en mondial Supersport avec la R9 qui s’impose dès sa première année, en endurance avec le YART, malgré l’abandon aux 8h de Suzuka, en championnat d’Europe MX, en mondial féminin MX. En WSBK, nous jouons pour le podium, mais pas assez pour la gagne. Et ce n’est pas seulement lié au talent de Toprak Razgatlioglu…Nous avons encore un léger manque de performance en termes d’électronique et de motricité que nous devons corriger si nous souhaitons nous battre pour le titre. En MX, la situation est plus compliquée car les blessures successives de Maxime Renaux et Jago Geerts nous ont fait perdre pied pour le titre. Malgré tout, la victoire de Maxime en ouverture de saison et les bons résultats de Calvin Vlandeeren (3ème du dernier GP de Belgique 5ème au général) démontrent toutes les qualités de la moto. Enfin, en Motogp nous progressons de façon incontestable même si ce n’est pas encore suffisant pour jouer la victoire en course (hormis lors du GP de Grande-Bretagne). Nous avons progressé en puissance moteur, en aérodynamisme, en exploitation des gommes tendres, en motricité et tout cela fait que nous sommes, suivant les circuits, entre 0,6’’ et 1,3’’ plus rapide dans nos temps au tour que l’an passé. C’est un progrès qui nous permet de mieux nous qualifier et on sait combien la position sur la grille importe pour le résultat en course. Nous progressons et Fabio a déjà marqué, fin juillet cette année, presqu’autant de points que sur toute la saison passée. Malgré tout, il nous en manque encore pour se battre régulièrement pour la victoire, sans compter que le duo Marc Marquez/Ducati est plus relevé que jamais ! »
Séb. S. « Comprenez-vous/partagez-vous les inquiétudes des supporters de Fabio Quartararo, qui a du mal actuellement, hormis en qualifications, pour jouer les premiers rôles en GP avec Yamaha ? »
EDS : « Le supporter d’un pilote est toujours mécontent et inquiet quand son champion ne se bat pas pour la victoire. Or, à part le GP de Silverstone qui aurait dû être remporté par Fabio, s’il n’y avait pas eu cet incident technique unique et imprévisible venant du correcteur d’assiette, Fabio n’a pas eu beaucoup d’autres occasions de se battre pour la gagne. Alors j’entends les inquiétudes, mais je soutiens nos ingénieurs et reconnais aussi qu’il y a de nombreux progrès. Le contexte n’a rien à voir avec les deux dernières saisons. L’encadrement du team a été revu en profondeur, le trio Paolo Pavesio/ Max Bartolini et Sumi-san fonctionne parfaitement bien avec un esprit renouvelé, une organisation technique beaucoup plus réactive et un programme technique et sportif qui porte une ambition tout à fait construite. Grâce à cela, la M1 est en évolution permanente, notamment dans le domaine de la motorisation et de l’aérodynamisme. On voit bien que les pilotes de la M1 ne se font plus décrocher à l’accélération ou en vitesse de pointe comme auparavant. Il reste une difficulté à changer de trajectoire en virage, et donc à pouvoir dépasser plus facilement les concurrents en condition de course, et une maitrise de la gestion électronique qui nous pénalise encore en traction et en motricité pure. Mais au titre des nouveaux atouts en devenir, nous avons un nouveau moteur V4 en développement, nous avons une équipe de test profondément renforcée avec l’apport d’Andrea Dovizioso, et enfin la synergie entre le team Pramac et le team Factory Monster Energy qui apporte aussi un gros plus dans les remontées d’informations et la pertinence du développement ».
Séb. S. « Qu’est-ce qui explique une telle différence avec Ducati actuellement ? Quel a été le facteur déclencheur pour créer l’écart ? »
EDS : « C’est toujours facile de refaire l’histoire, mais je pense qu’il y a eu deux facteurs qui nous ont amené à vivre ces deux saisons difficiles 2023-2024 et à subir, comme toutes les autres marques, une certaine domination de Ducati. Le premier a été de considérer pendant trop longtemps Ducati comme un challenger et pas suffisamment comme un vainqueur dominant possible. Or lorsque le groupe Audi à repris Ducati, en 2012, les moyens ont changé et l’expertise d’Audi en matière de compétition, de développement avancé et d’aérodynamisme a représenté immédiatement un apport très important pour Ducati qui s’est vu sur la piste dès les années 2016-2017. Dans la même période (2014-2019), il a été décidé d’appliquer progressivement pour tout le plateau MotoGP une électronique unique provenant de Magneti-Marelli, marque qui était le fournisseur historique de Ducati. Enfin, à la fin des années 2010, la Dorna a accordé à Ducati de pouvoir équiper un total de quatre équipes, soit 8 motos sur la grille. L’addition de ces trois facteurs : moyens de R&D renforcés, électronique unique sur la base du fournisseur historique de Ducati et la possibilité d’avoir des remontées d’informations provenant de 8 pilotes sur la grille ont permis au constructeur de Bologne de faire un réel pas en avant dans la performance de sa Desmosedici GP et de prendre une avance sur tous les autres concurrents. Après, il faut aussi souligner le talent des ingénieurs, de l’organisation et le talent des pilotes qui ont tous contribué à ce succès. Le deuxième facteur est sûrement lié aux qualités de la M1 qui nous a conduit à un certain conservatisme. Entre 2012 et 2022, la M1 a été 3 fois championne du monde, 6 fois vice-championne du monde et un pilote M1 a toujours terminé sur le podium durant ces 11 années. Et puis à chaque fois qu’un jeune pilote montait sur la moto, il était performant, à commencer par Johann Zarco ou Fabio Quartararo. Alors, cette réalité sportive n’a pas encouragé à faire une révolution technologique spectaculaire mais plutôt à faire évoluer la moto par petites touches. Il a fallu la douche froide de 2023 pour déclencher ce qui ressemble depuis deux ans à une révolution profonde ».
Séb. S. « Quelles sont les raisons d’y croire ? »
EDS : « Tout porte à croire à un retour de Yamaha au premier plan, et à voir nos pilotes se battre à nouveau pour la victoire. Les moyens mis en œuvre, le renouvellement et la qualité des équipes en charge du programme MotoGP, les ressources additionnelles de R&D qui interviennent sur le programme, le renforcement des moyens de notre équipe de tests, la progression des performances de la moto entre le modèle 2024 et 2025, les perspectives de la nouvelle motorisation et le talent de nos pilotes sont des ingrédients de qualité qui vont porter nos succès futurs. Il n’y aucune fatalité dans les résultats actuels ! Toutes ces composantes qui se murissent depuis de nombreux mois, voire des années, vont continuer à nourrir les progrès de Yamaha en MotoGP et vont remettre la marque sur le chemin du titre mondial. J’y crois, comme je crois à l’avenir de Yamaha qui continue à innover et construire l’avenir de la moto, du haut de toute la jeunesse de ses 70 ans… ! »
Propos recueillis par Sébastien Soulié